À propos de Jean-Gabriel Périot, interview de Michel Cloup

 

La musique est essentielle à Jean-Gabriel Périot, comme elle l'est pour ses films. Nous avons alors proposé au musicien Michel Cloup, qui apparait dans Si jamais nous devons disparaître… et pour qui Jean-Gabriel Périot a réalisé un clip, de partager son regard sur cette œuvre.

 

Comment a eu lieu votre rencontre avec Jean-Gabriel Périot ?

Jean-Gabriel a commencé à m’envoyer des DVD avec ses premiers films au moment où il m’a demandé l’autorisation d’utiliser la reprise de This is not a Love Song que nous avions enregistrée avec Expérience vers la fin des années 2000 pour son court métrage L’Art délicat de la matraque. Il a par la suite continué régulièrement à m’envoyer des liens vidéos, dès qu’il avait un film prêt à sortir. j’ai aussi pris l’habitude de lui envoyer mes disques avant qu’ils ne sortent.

 

Qu’est-ce que son travail vous inspire ?

J’aime beaucoup son travail pour sa qualité mais aussi pour sa diversité, son travail autour de l’archive, notamment dans Une jeunesse allemande, et sa manière de subtilement raconter une histoire. J’aime aussi son approche politique dans la plupart de ses films. Je pense que nous avons une approche similaire sur ce genre de sujets. Pour en avoir souvent parlé avec lui, nous n’aimons pas la facilité ou les raccourcis et aimons bien laisse rune porte ouverte au niveau de l’interprétation. J’aime aussi quand il essaie d’autres choses. J’ai été bouleversé par la scène d’ouverture de Lumières d’été, c’est une des scènes les plus fortes qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années. Son travail peut paraître décousu, d’un film à ‘l’autre, mais je trouve l’ensemble justement très cohérent et très pertinent.

 

Comment est né Si jamais nous devons disparaître… et de quelle manière avez-vous travaillé ensemble ?

Jean-Gabriel est venu à un de  mes concerts et il m'a  parlé de son idée de film. C'était très abstrait au départ, c'est d'ailleurs ce qui m'a séduit dans le projet ! Nous avons composé un morceau  de musique  avec Patrice Cartier, le batteur du film, et nous lui avons envoyé. Il a écrit un storyboard à partir de ce que lui inspirait la musique. Le  film a été tourné quelques mois plus tard. Ça a été une belle expérience, l'équipe de tournage était adorable. J'avais peur que ce soit compliqué et ça s'est fait très facilement et très naturellement. J'aime beaucoup le résultat c'est un film un peu à part dans sa filmographie, un film un peu ovni entre le court métrage de fiction, le film musical et le cinéma expérimental.

 

Ce film interroge l’engagement des corps dans l’art (le cinéma, la musique, la danse) et la transe. Que cela dit-il de votre rapport mutuel à la musique ?

Je crois que nous aimons le rapport intellectuel à la musique autant que son Impact physique, sur le performeur ainsi que sur le public.

 

À l'image du titre de  ce film  mais  aussi du morceau Nous qui n’arrivons plus à dire nous, on retrouve chez vous deux un interrogation du collectif. De quelle manière cela vous semble-t-il nécessaire ?

C'est une question qui tourmente notre génération, je pense. Je me souviens d'une discussion publique avec Jean-Gabriel et le philosophe Alain Brossat autour de leur livre Ce que peut le cinéma, et nous avions exprimé ce questionnement autour du « nous », comme un désir, une nécessité mais aussi une angoisse. Pour Alain Brossat, qui est plus âgé que nous, les choses étaient plus claires, plus simples, il n'avait pas la même appréhension. Nous sommes à une période où il faut reconstruire un « nous » mais ce n'est pas simple. Ce n'est pas impossible non plus, le mouvement social qui secoue la France depuis plusieurs mois a remis de manière assez naturelle le « nous » au cœur du débat. Des gens d'horizons très différents se sont mis à se parler et à rentrer en lutte. C'est assez réjouissant.

 

Le clip qu’a réalisé Jean-Gabriel Périot pour votre morceau Nous qui n’arrivons plus à dire nous semble répondre à L’Art délicat de la matraque, à travers les images de contestation et de répression. De quelle manière s’est fait ce clip qui vient justement dialoguer avec votre morceau, et comment l’avez-vous reçu ?

J'ai donné carte blanche à Jean-Gabriel car j'ai entièrement confiance en son travail et en son regard. Il est parti  sur une idée puis a bifurqué sur autre chose. J'avais envie d'être surpris et ça a été le cas. J'al eu l’impression qu'il répondait à toutes les questions posées dans ce texte. Il a pris le contrepied de ce qui est raconté et j'ai trouvé ça très beau.

 

Que pensez-vous de ce que Jean-Gabriel Périot parvient à capter dans Nos défaites ?

Il capte la jeunesse et la construction politique, on a  l'Impression qu'au film du film on assiste à cette construction et qu'elle va se poursuivre après le film, que ce n'est que le début. C'est assez troublant et très beau à la fois.

 

Entretien réalisé par Mathieu Champalaune le 27 juin 2019 à Paris
Réplique, n°13
Octobre 2019